Un soir un livre 2015
Activité gratuite ouverte à tous, y compris les non adhérents.
On discute d'un livre choisi d'un commun accord auparavant.
On peut même venir juste pour attraper le désir de lire...
Pour s'informer, participer, organiser, accueillir...
Infos : Jeanne Bem : jeannebem@yahoo.fr
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Lundi 9 novembre 2015 Nous étions treize hier chez Nicole G., merci à elle, son salon est charmant et les bonnes choses couvraient la table!Nous avons discuté pendant une heure du roman de Saïdeh Pakaravan, "Azadi" (mot qui veut dire la liberté, et en 2009 on manifestait à Téhéran Place de la Liberté). |
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Vendredi 2 octobre 2015 Deux ou trois personnes n'avaient pas lu "Le Maître et Marguerite" (ou juste un peu) mais la discussion n'en a été que plus animée. Ce roman de 600 pages et d'une trentaine de chapitres est extraordinaire. Boulgakov y a travaillé les douze dernières années de sa vie (il est mort, de maladie, en 1940). Il y a mis toute sa créativité, son imagination débordante, et son amertume par rapport à sa carrière entravée par la censure de Staline. Il savait que son roman ne pouvait pas être publié (il n'a été publié qu'en 1966).
Le roman est à la fois réaliste et fantastique. Réaliste: on est à Moscou dans les années 1930, dans ce milieu des écrivains que l'auteur connaît bien. Toutes les institutions soviétiques sont représentées, la "milice" et la police secrète, Intourist qui contrôle les touristes et les devises, le grand magasin (Gastronom) réservé à la nomenklatura (mot qui ne sera utilisé que plus tard par les soviétologues), les associations regroupant les écrivains, un théâtre dont nous connaissons tout l'organigramme, le système des appartements communautaires et de leur attribution... et surtout l'Asile d'aliénés, où on met des gens sains d'esprit qui deviennent fous. Tout le quotidien y est aussi, la corruption, la délation, la mesquinerie généralisée. Le pire enfin, surtout après 1934: les purges, qui se traduisent par le phénomène des "disparitions".
Le fantastique sert à Boulgakov à se faire plaisir (et à nous aussi); et à détruire par l'imagination le monde dysfonctionnant dans lequel il vit, mais SANS jamais attaquer directement Staline. Le "système" n'est jamais critiqué, au contraire il est traité comme allant de soi et son dysfonctionnement est poussé au bout de l'absurde. Le romancier introduit dans la ville un magicien, son acolyte et son chat. Et tout va de travers pour tout le monde, sauf pour le couple privilégié: Marguerite et son poète (qu'elle appelle le Maître). Le poète travaille à un récit qui est une réécriture des Evangiles - sans doute une entreprise subversive étant donné l'athéisme ambiant? Croire au Christ permet en tout cas de justifier la croyance au Diable. A la fin du roman, le monde de Boulgakov et le monde de Ponce Pilate fusionnent selon un procédé littéraire audacieux. Et la magie permet au couple du Maître et de Marguerite d'accomplir leur amour hors de ce monde, dans un monde paradisiaque.
Dans la discussion on a identifié les références qui ont inspiré Boulgakov: Hoffmann, Goethe, Lewis Carroll (c'est à lui que nous devons le personnage inoubliable du chat de Boulgakov), Huxley, Wells. Parmi les Russes, il doit y avoir Dostoïevski, Gogol... Boulgakov observe la perversion linguistique du régime (que reprendra Orwell en 1948, dans "1984"), il identifie déjà la novlangue: MASS-LIT, DRAM-LIT.
C'est l'énergie du livre qui charme, plus que les personnages, qui sont tous grotesques. Marguerite (le nom vient de "Faust" mais pas la jeune fille) elle-même se transforme en sorcière dans une Nuit de Walpurgis échevelée. L'énergie se manifeste par le mouvement (on bouge, on vole dans les airs, on tue beaucoup aussi!) - et le mouvement fait penser à l'art du cinéma. L'énergie nous est aussi communiquée par les réactions impulsives des personnages et par les débordements collectifs, "paniques" (le théâtre, la nuit des sorcières, le bal). Dans les années 1920, Aragon rêvait d'un roman à mille personnages évoluant dans un monde qui serait un gigantesque bordel (il a détruit son manuscrit). Boulgakov transforme Moscou en une orgie permanente.
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Mercredi 9 juillet 2015
Nous étions hier chez Marie-Paule au coeur du Morvan.
"Tilleul" a intéressé tout le monde, justement à cause de son style et de la tension de cette histoire de famille. Il y a un mélange de courant de conscience, de paroles énoncées et de phrases à mettre au compte du narrateur, souvent sans transition, ce qui rend difficiles les attributions à tel locuteur. Beaucoup de phrases restent en plan. Le monde du roman est assez glauque, même si - heureusement - la soeur et la nièce se sauvent à la fin. On s'est demandé si Gilles Harper allait mettre fin à ses jours dans le tilleul. Beaucoup d'énigmes restent irrésolues, la métaphore du mystère étant peut-être la statue enveloppée...
Il y a chez Hélène Lenoir un mélange de réalisme et de formalisme. L'intrigue est banale, bourgeoise et moche. La famille est un sujet de roman inépuisable. L'inceste (imaginé?) rôde à travers le roman. Mais ce qui compte, c'est surtout comment c'est raconté ou plutôt écrit. Un des maîtres du formalisme dans le roman est William Faulkner. La comparaison avec "Le bruit et la fureur" (1929) (excellent résumé du livre et de ses enjeux formels sur en.wikipedia.org) est éclairante, car "Tilleul" non seulement utilise les mêmes procédés d'écriture, mais s'inspire de "The Sound and the Fury" même pour des éléments d'intrigue et pour les relations entre les personnages. Ce qui montre la force des grands classiques. Le travail de Lenoir est rare, par les temps qui courent.
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Mercredi 3 juin 2015
Excellente ambiance autour de ce roman si anglais, "La Fiancée de Bombay" de Julia Gregson. Il est de 2008 mais il semble avoir été écrit à l'époque où il se passe, dans cette fin des années 1920. Il est de facture classique et utilise merveilleusement le suspense et les finesses de l'analyse des sentiments.
Roman historique, roman d'amour, roman d'éducation, un peu aussi thriller psychologique, et avant tout roman "colonial". Julia Gregson témoigne de la relation intense et ambivalente que les Anglais entretiennent avec leur Inde perdue. "It's got under my skin" dit un personnage: ceux qui ont connu l'Inde l'ont dans la peau. Un des parcours de lecture de ce livre, ce sont les arbres, les fleurs, les tissus, les odeurs, les sons, la langueur, la moiteur, la lumière de cette Inde que nous percevons de façon quasi sensuelle. La romancière utilise le recul historique pour donner une image complexe et subtile des réalités anglo-indiennes. Elle est féroce avec les coloniaux arrogants, par petites touches elle introduit les tensions politiques, les émeutes, la peur des colons, l'autorité déjà de Gandhi, la radicalité de la All-India Muslim League. Elle nous fait vivre dans le luxe inouï des Blancs mais aussi avec les enfants des rues, elle repère la première ONG, elle nous emmène dans les avant-postes militaires dangereux, aux frontières du Pakistan, et nous avons droit à un kidnapping et même à un accouchement dramatique. Il y a des Anglaises déterminées (vieilles pour la plupart) qui vivent courageusement - bref, on l'a dit dans la discussion: c'est tout un monde, et on ne s'ennuie pas! Même si le prologue (la traversée sur le paquebot) est un peu long peut-être. La trame sentimentale a son utilité, elle soutient elle aussi l'intérêt. Des "fiancées de Bombay", il y en a trois en fait, ou même quatre si on compte la belle maîtresse indienne qui a charmé la vie de garnison de Jack. La romancière arrive à mêler plusieurs fils thématiques: la maladie mentale de Guy et la névrose de Viva, les débuts difficiles d'un jeune couple, la question féministe, cette obsession surtout (qui est d'époque) des familles bourgeoises à marier leurs filles. Rose et Victoria, amies d'enfance, sont très proches et très différentes, l'humour compte beaucoup pour le personnage de "Tor", tandis que Viva, leur amie plus âgée, qui est la véritable héroïne du roman, est une jeune femme moderne, émancipée et fragile à la fois. Et comme le veut la loi du genre, tout se termine par des mariages. |
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Mercredi 22 avril 2015 Vous avez fait hier le voyage de Valouze et nous avons eu une très joyeuse séance (étaient malheureusement absentes: Michèle, Francette, Chantal, Muriel, Jacqueline, Arlette, Françoise). Nous étions quand même douze, pour parler de ce roman de Léonor de Récondo, "Pietra viva", qui nous fait revivre un segment de la vie de Michel-Ange, pas le même que dans le roman de Mathias Enard. C'est encore un voyage du sculpteur, mais cette fois c'est pour un long séjour solitaire à Carrare, où il doit choisir les blocs de marbre destinés au tombeau que le Pape lui a commandé. |
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Nous étions treize hier soir vendredi 13 mars, chez Nicole - merci à elle pour son accueil! |
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L'argument de base de ce roman est tout à fait justifié: il fallait donner un nom et une vie à la victime de Meursault, ce que Camus romancier avait esquivé dans son roman. Cette omission fait que "L'Etranger" témoigne d'une certaine cécité des Français d'Algérie, qui littéralement "ne voyaient pas" la population qui les entourait. Cependant Camus, à la différence de beaucoup de Français d'Algérie et de métropole, avait une réelle sensibilité politique. On connaît ses articles (dans "Alger Républicain" en 1939 sur la misère en Kabylie, et dans "Combat" en 1945 sur la répression des émeutes de Sétif). Camus alertait sur l'injustice criante qui était faite à la population algérienne, sur les promesses non tenues. En 1956 il avait essayé de lancer à Alger une initiative pacifiste désespérée, qui lui avait valu la haine des pieds-noirs ultras. |
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Lundi 26 janvier 2015 Nous étions quand même dix autour d'un bon feu chez Jacqueline (huit personnes s'étaient excusées) pour discuter de "Délire d'amour", du romancier anglais Ian McEwan, un roman palpitant publié il y a quinze ans.
Ce n'était pas l'unanimité! Certains sont un peu allergiques au genre du thriller, dont Ian McEwan connaît à merveille toutes les ficelles. Certains ont même trouvé la lecture trop stressante. D'autres, heureusement, ont apprécié le roman.
On a généralement reconnu la maestria du premier chapitre. Elle ne réside pas seulement dans l'art du récit, mais dans l'utilisation de cet événement hors normes, l'accident de la montgolfière, pour nouer tous les liens entre les personnages présents. C'est parce qu'ils sont plongés tous deux dans un état second sous l'effet du choc traumatique, que Joe, déjà un peu troublé dans sa relation avec Clarissa, et Jed le solitaire exalté, établissent à leur insu une relation "durable" et insupportable (le titre anglais est : "Enduring Love").
Dans la discussion, l'accent a été mis sur le syndrome de Clérambault (appelé aussi "érotomanie"), puisque ce roman résolument réaliste s'appuie, comme le font souvent les romans depuis le 19e siècle, sur un fait divers vrai, et même sur une étude clinique de cas psychiatrique.
On a remarqué un autre trait intéressant: même si certains épisodes sont construits comme des séquences de film d'action ou de film noir (l'accident, l'attentat au restaurant, l'achat du revolver), Ian McEwan a une prédilection pour l'écrit, plus que pour le visuel. Pour lui, un roman c'est d'abord une écriture, un art des mots, un exercice d'expression verbale. Peut-être qu'on perd quelque chose quand on ne connaît que la traduction - en anglais le roman est très bien écrit. Les lettres jouent un grand rôle, elles prennent la dimension de chapitres, et cet aspect épistolaire est rare dans la littérature contemporaine. Souvenir de la technique du roman d'analyse, les lettres permettent d'offrir des points de vue différents de celui du narrateur. C'est au lecteur de se faire une opinion. Joe est-il normal, ou fou lui-même comme le pense sa femme? ou plutôt, contaminé par la folie qui émane de Jed? ou simplement englué dans l'incommunicabilité qui caractérise la société moderne (voir l'incompréhension des policiers) ?
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Pour ma part j'ai proposé une grille politique. Elle prouverait l'acuité prophétique de la vision du romancier. Ainsi, le comportement des protagonistes dans l'accident pose la question du collectif versus l'individu; la faillite de la police montre que l'individu abandonné n'a plus d'autre recours que l'auto-défense; enfin Joe, en tant que journaliste qui vulgarise la science dans une optique athéiste sur fond de société sécularisée, entre en collision frontale avec un "fou de Dieu" très représentatif de certaines dérives fondamentalistes attestées dans l'Occident anglo-saxon. Et le raid des deux tueurs au restaurant nous fait froid dans le dos. J. BEM |
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