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Le journaliste du front

Sara Cherrier, collège la Châtaigneraie, Autun, 71
 
28 juin 1914: ASSASSINAT À SARAJEVO !
 
L'archiduc François-Ferdinand, héritier de l'empire d'Autriche, et sa femme ont été...
 
« Et quand vous aurez fini l'année 1914, vous n'aurez qu'à faire 1915 !
 
- Pfou !... Oui, monsieur. »
 
Jeanine soupira. Elle n'avait pas fini ! Quand elle avait trouvé cet emploi comme stagiaire à « La Gazette de Charolles », elle pensait rédiger des articles, partir chercher des renseignements sur le conflit qui opposait la France et l'Allemagne depuis deux ans. Au lieu de cela, elle rangeait les archives du journal, dans une salle sombre et froide. Au bout d'un mois, elle était à peine sur le point de terminer 1914, et le directeur n'avait pas l'intention de la laisser un peu tranquille !
 
« Bonjour Jeanine ! lança une voix d'homme derrière elle.
 
- Ah ! Bonjour Étienne. Ca faisait un moment que je ne t'avais pas vu...
 
- Oui, j'étais parti en reportage, au fort de Douaumont. J'imagine déjà l'article.
 
«Le 6 mars 1916, un jeune journaliste a bravé les balles allemandes en allant au fort de Douaumont, au cœur du combat ! » Je vais devenir célèbre !
 
- Tu vas surtout «devenir» mort ! répliqua gentiment Jeanine. Et pendant que tu t'amuses à jongler avec les shrapnells ennemis, moi je m'inquiète pour toi… Je n'ai pas envie de me retrouver seule avec le patron. Il est tellement aimable !
 
- Mais... tu ne t'inquiètes pas pour moi, là, c'est pour toi que tu paniques !!!»
 
Étienne éclata de rire devant la mine déconfite de son amie qui, finalement, se laissa entraîner par la joie de vivre du journaliste. Quand leur fou-rire fut passé, Étienne se dirigea vers son bureau, au grand regret de Jeanine. Mais, au dernier moment, il se tourna vers elle et lui demanda : «Tu as fini l'année 1914?
 
- Heu... presque. Il me reste une petite dizaine de journaux à ranger. Pourquoi ?
- Quand tu auras terminé, viens me voir : je te montrerai comment on fait un article... si tu veux bien.
 
- Oh oui ! s'exclama Jeanine, agréablement surprise par cette proposition. Je me dépêche!»
 
Quelques minutes plus tard, le directeur, qui passait souvent par la salle des archives pour surveiller sa stagiaire, découvrit la jeune fille, chantonnant, debout sur une chaise, pour ranger une pile de journaux en haut d'une armoire. Tout était normal, à part qu'elle avait le sourire. Déstabilisé par cette attitude, il lui lança, sur un ton suspicieux :
 
« Eh ! vous, que faites-vous?»
 
Jeanine, qui ne l'avait pas vu arriver, faillit tomber de sa chaise. Elle s'accrocha à l'armoire pour empêcher la chute. En fait, elle ne fit que déséquilibrer le meuble et elle se retrouva couchée par terre, tous les journaux de 1914 éparpillés sur elle. Le directeur, affolé, se rua vers elle pour l'aider. Quand elle fut dégagée, Jeanine balbutia :
 
« J'étais en train de ranger les journaux de fin décembre 1914, monsieur. Vous m'avez fait peur. Mais, pourquoi m'avez-vous demandé cela ? »
 
Le directeur, très gêné, choisi d'ignorer la question de sa stagiaire et répliqua méchamment, pour masquer sa honte :
 
« Allez-voir Etienne. Vot' jambe saigne, son père 'tait médecin : il pourra peut-être faire quelque chose. Sinon... je ne sais pas... débrouillez vous ! »
 
Jeanine ne se le fit pas dire deux fois. Elle sortit de la salle en boitillant puis, quand elle ne fut plus dans le champ de vision de son chef, elle se précipita dans le couloir menant aux bureaux des journalistes de la gazette. Celui d'Etienne était tout au fond du couloir « Tu as déjà fini ? demanda-t-il quand elle débarqua, toute essoufflée.
 
- Non, mais le chef m'a dit de venir te voir. Regarde ! »
 
Elle lui montra son genou et lui raconta ce qui s'était passé dans la salle des archives. Etienne lui donna de quoi désinfecter sa blessure et lui raconta de petites anecdotes sur le chef, qui était très certainement fausses pour la plupart, mais la faisaient quand même rire. « Si le vieux arrive et t'entend, tu seras sûrement mis à la porte, chuchota-t-elle quand il eut fini de proclamer toute une série de ressemblances entre le patron et divers animaux, parmi lesquels figuraient le rat, le rhinocéros et le chimpanzé.
 
- Au diable le vieux ! s'exclama-t-il en montant debout sur son bureau. Viens te battre, continua-t-il en mimant un duel à l'épée, espèce de caniche hystérique ! »
 
Ils restèrent ainsi, à parler de tout et de rien, pendant encore longtemps. Le soir, chacun rentra de son côté. Jeanine était triste de le voir partir, mais elle savait qu'elle le reverrait le lendemain, ce qui la consola un peu. Cette nuit-là, elle rêva de son patron : il avait une tête de chien !
 
Le lendemain, quand elle arriva dans les locaux de la gazette, Étienne n'était pas là. Elle pensa qu'il était en retard et alla ranger les journaux de 1915, en attendant son arrivée. Mais à midi, il n'était toujours pas là. Jeanine alla voir le chef et lui demanda timidement s’il savait où était Étienne.
 
« En quoi çà vous intéresse ? répliqua-t-il sèchement, comme à son habitude.
 
- Il m'avait dit de repasser le voir pour mon genou, mentit-elle pour cacher ses sentiments.
 
- Eh bien, il s'est moqué de vous : il ne viendra pas, car il est reparti ce matin en reportage, au fort de... comment s'appelle-t-il déjà ? Dosrond... Dosroux...
 
- Douaumont ?

- Oui c'est cela, répondit-t-il, avant de faire signe à Jeanine de sortir. »

Elle obéit, complètement déprimée.

Et elle attendit. Désespérément. Un signe ou une lettre. Et, deux semaines plus tard, quelque chose arriva. C'était une lettre, en mauvais état, venant de la zone de combat. C'était le colonel qui dirigeait les soldats au fort de Douaumont qui l'avait envoyée. Elle passa de main en main, en silence, puis atteignit enfin Jeanine. Elle lut puis la fit à nouveau circuler : Étienne ne reviendrait pas, il était mort.

Un mois plus tard, Jeanine se présenta dans le bureau du patron. Celui-ci, comme toujours, l'observa méchamment quand elle entra. Mais, pour une fois, Jeanine soutint son regard. Depuis la mort d'Étienne, elle s'était montrée plus forte face à lui et il fut le premier à détourner le regard.

- Que voulez-vous ? demanda-t-il hargneusement.

- J'ai écrit un article sur la mort d'Étienne, Monsieur, et j'aimerais le mettre dans le journal de demain.

- Vous êtes journaliste maintenant ? Il ne semble pas que ce soit ce qui est marqué sur votre contrat ! Sortez de mon bureau immédiatement et allez chercher le courrier !

- Mais ce n'est qu'un petit article et ...

- Et… très certainement minable! Dehors !

- Monsieur... s'il vous plaît...

- De toutes façons il sera censuré : la mort des soldats est cachée, alors la mort d'un civil... » Jeanine se décida enfin à sortir, touchée par cet argument.

Mais elle garda l'article qu'elle avait écrit, en souvenir d'Étienne.