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Arts plastiques

Carole Van Steenkiste, Lycée Saint Lazare, Autun, 71

Nous nous regardions et nous ne savions par où commencer... Dans la salle d'arts, pas un bruit : les consignes semblaient suffisamment complexes pour que tout le monde se concentrât. Cependant nous aimions les arts plastiques. Après tout, nous les pratiquions en option facultative !

Le professeur perçut rapidement notre perplexité et réexpliqua les consignes. Nous lui jetâmes un coup d'œil reconnaissant et nous mîmes au travail, décidés à profiter au maximum de ces deux heures de cours pour oublier celle de science qui les suivrait.

Des rayons de soleil entrecoupés de gros nuages traversaient les deux fenêtres de la pièce et éclairaient les tables sur lesquelles nous travaillions, balayant au passage les murs peints de couleurs vives. Tout ici évoquait la gaieté, contrairement aux autres salles de cours peintes de façon terne et dans lesquelles nous nous ennuyions ferme.

Le professeur se glissait entre les tables, encourageant l'un, aidant l'autre. Tous les élèves l'appréciaient. Constamment de bonne humeur, il consolait presque aussitôt les personnes qui en avaient besoin. Ce qui nous motivait, évidemment. Une planche de bois, sculptée par un duo de filles, projetait régulièrement dans l'air des petits nuages de poussière qui nous piquaient les yeux. Mais le bois sentait bon la forêt et ajoutait de la joie à l'ambiance déjà chaleureuse.

Un autre groupe découpait du PVC. J'en faisais partie. Tout en procédant à cette étape minutieuse, nous taillions un brin de causette sous les yeux amusés du professeur qui vint même, à plusieurs reprises, bavarder avec nous. Le travail avançait bien... Nous finîmes de découper les plaques de PVC et les assemblâmes avec soin tandis que le groupe « Sculpture » poursuivait, infatigable, de tailler le bois.

La récréation ne tarda pas à arriver et nous nous précipitâmes, poussés par notre professeur, au dehors. Il faisait gris et nous nous rendîmes compte que les couleurs de l'extérieur avaient beau être réelles, la salle d'arts plastiques serait toujours plus joyeuse que lui. Plongée dans une éternelle atmosphère de bonheur, jamais elle ne connaîtrait les couleurs froides de la pluie et des nuages d'orage, ni la tristesse d'un jour sans soleil. La pluie ou la grêle auraient beau cogner à ses carreaux, elle demeurerait sereine, éclairée par les néons du plafond et égayée par la présence d'un enseignant chaleureux et plein d'humour. Et nous prîmes conscience que les artistes devraient toujours exprimer la joie dans leurs œuvres : la tristesse occupe bien assez de place dans le monde et dans le cœur de certains hommes. Inutile d'exploiter l'art comme source de désespoir alors qu'il peut faire ressentir du bonheur, beaucoup plus rare dans la vie quotidienne...

Après ces pensées philosophiques nous revînmes de meilleure humeur en cours. Chaque groupe se remit à l'ouvrage tranquillement. Le mien se rendit au dépôt (qui contenait toutes sortes de matériaux) et s'empara du nécessaire pour la suite de nos travaux. Puis il retourna en salle d'arts plastiques et nous nous mîmes à « bûcher » sur les plaques de PVC.

Tout le monde étirait volontairement chaque étape pour en profiter le plus possible. Aucun de nous n'était pressé d'entendre la prochaine sonnerie, qui indiquerait la fin du voyage au Nirvana et le retour au monde « réel ». Ici, tous et toutes se sentaient ailleurs, dans un autre univers, magique et rempli de merveilles. A l'extérieur, les salles de cours « ordinaires » où la sonnerie arrivait à point nommé, tel un ange salvateur venu secourir les hommes, et où les professeurs enseignaient froidement leurs matières respectives. Bons pédagogues, mais ils ne nous apprenaient qu'à exercer notre logique, non à rêver. Normal, quoique pas très amusant. Aussi, nous attendions avec impatience le jour fantastique qui nous libérerait momentanément des inéquations, des lois de Descartes ou des conjonctions de subordination. Quand l'heure H sonnait, nous nous préparions d'avance au grand saut qui nous projetterait chez notre professeur préféré, optimistes et prêts à tout. L'art nous saisissait, et, tout en « créant », nous laissions nos sentiments s'exprimer, guider notre corps. Les chaînes de soucis qui enserraient notre esprit se brisaient et celui ci vagabondait alors, heureux, sur une toile ou une sculpture.

Et puis, contrairement aux autres matières, nous l'avions choisie, donc, nous partagions le même goût pour elle. Et l'amitié apparaissait. Quand nous préparions un projet en commun, l'entraide et le partage nous unissaient et personne ne se disputait. C'était, en quelque sorte, « tous pour l'art et l'art pour tous » ! Ici, la violence du lycée s'évaporait, les insultes, les bousculades...Tout disparaissait sous une mer de paix et de tranquillité. Pendant que nous finissions notre sculpture en unissant bois et PVC, nous échangions ces idées à voix haute, espérant qu'un jour cet espace de joie et de lumière serait accessible à tous et que la violence au lycée aussi bien qu'au collège céderait la place au plaisir et à l'entraide.

La sonnerie retentit de nouveau, propageant une onde de tristesse dans la salle d'arts plastiques. Déjà, le cours était fini, la solidarité terminée. Chacun s'en irait bientôt, son sac sur l'épaule, l'air maussade, vers le prochain cours, après avoir souhaité un bon week-end au professeur... Mais nous savions qu'après la pluie, viendrait le beau temps et que ce cours merveilleux reviendrait éclairer notre quotidien la semaine suivante…


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